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    Quand les jardiniers clandestins s'attaquent aux villes...

    LE MONDE|23.04.2012 à 15h39 • Mis à jour le24.04.2012 à 10h30

    Par Christine Taconnet

     

    Un guérillero urbain à Londres.Un guérillero urbain à Londres. | REUTERS/Alessia Pierdomenico

    Ils sortent souvent la nuit, seuls ou en groupe. Ils semblent sans arme. Mais, au fond de leurs poches, de petites boules de terre s'entrechoquent. Des bombes à graines. Au prochain arrêt, l'air de rien, ils les lanceront sur le sol délaissé d'une friche urbaine. Avec un peu de chance, dans quelques jours, cet espace fleurira. Puis ils repartiront biner un chantier à l'abandon, entretenir les boutures d'un pied d'arbre ou végétaliser d'autres interstices dans le béton.

    Leur combat a un nom : la guérilla jardinière. Inventé à New York dans les années 1970, le terme a retrouvé ses lettres de noblesse après la publication en 2003 d'un opus, On Guerrilla Gardening, devenu la bible des militants et traduit en français en 2010 chez l'éditeur alternatif Yves Michel.

    L'auteur, Richard Reynolds, un professionnel de la publicité fan de jardinage, lui-même guérillero clandestin, y fait le point sur l'histoire du mouvement, ses valeurs, ses techniques. Le Britannique se consacre à cette activité qu'il retrace sur son site (Guerrillagardening.org) et donne des conférences sur le sujet dans le monde entier. Sa définition est toute prête : "La guérilla jardinière, c'est la culture sans autorisation de terrains qui ne vous appartiennent pas." Une fertile occupation des sols abandonnés, en somme.

    Dans les faits, les attaques ciblent surtout les espaces publics négligés. A Londres, les militants y plantent des massifs de fleurs. A Paris, ils préfèrent les potagers. L'art et la poésie ne sont jamais loin de ces séances de bêchage collectif et autogéré. Il suffit de suivre les tags en mousse qui grimpent le long des murs de ciment. Le Centre Georges-Pompidou à Paris ne s'y est pas trompé, qui organisait sur ce thème, l'hiver dernier, des ateliers lors de son exposition "Green Attitude".

    "FAIRE PASSER UN MESSAGE POLITIQUE"

    Combien sont-ils dans le monde à s'en revendiquer ? Le chiffre de 60 000 militants circule, difficile à vérifier, car le cercle est mouvant. Il tend surtout à s'étendre. En France, le réseau va de Rennes à Bordeaux, de Lyon à Nantes. Le mardi 1er mai, ces groupes s'associeront à leurs camarades hors des frontières pour une "grande fête globale du jardinage illégal de tournesol" (International Sunflower Guerrilla Gardening Day). Plantations hautes en couleur assurées.

    "Pour les militants à la marge, ces actions sont une façon provocante de faire passer un message politique sur la propriété, le vivre-ensemble et la nature", signale Richard Reynolds. Les membres de la plate-forme Guerrilla Gardening Paris se voient ainsi comme des résistants, plus tournés vers la critique de l'urbanisme contraint que vers l'embellissement du bitume. "Nous sommes proches du mouvement des peuples sans terres ailleurs dans le monde, précise Gabe, coordinateur de la plate-forme. L'idée est de s'approprier nos rues et d'agir pour un patrimoine plus diversifié des espaces verts."

    Certaines municipalités ont décidé de s'associer à des initiatives s'inspirant du guerrilla gardening, comme Embellissons nos murs à Rennes ou Laissons pousser, partie d'Ile-de-France. "Pour les gens, le guerrilla gardening est une façon de prendre possession des espaces publics en répondant à un besoin pressant de convivialité", reconnaît Richard Reynolds. Une vision proche de la philosophie des jardins partagés. "Plus les citoyens l'adopteront, plus les autorités seront détendues sur le sujet. Et cela n'aura plus à s'appeler guérilla jardinière".

    Christine Taconnet

    Bombes à graines, mode d'emploi

    La grenade verte ou bombe à graines est l'étendard de la guérilla jardinière. Un outil amusant, pratique pour les endroits difficiles d'accès. C'est une boule d'argile, de terreau et de graines, que l'on peut confectionner soi-même et lancer où l'on veut, en catimini. Les puristes récupèrent les graines de leurs propres plantations. Autre option idéologiquement acceptable : s'approvisionner dans des Fraternités ouvrières ou auprès d'associations militantes comme Kokopelli, qui distribue des semences bio pour préserver la biodiversité. Trop tard ? Alors direction la jardinerie du coin. On y trouve des sachets prémélangés, comme ceux de la jeune société Nova-Flore, spécialiste de l'écologie urbaine (plantes mellifères, prairie de fleurs sauvages, etc.). Ceux que les travaux manuels rebutent s'achèteront des outils tout prêts. Comme les paquets de bombes à graines de l'allemand Aries ou, plus tendance, l'astucieuse Seedbom, en forme de grenade, du britannique Kabloom.

    Mais la bombe à graines est une arme capricieuse, qui n'affranchit pas son utilisateur du b.a.-ba du jardinage. Une graine a besoin d'un sol préparé et d'une météo propice pour s'enraciner. Pas de magie, hélas, d'où certaines frustrations des débutants, que Richard Reynolds, auteur du livre La Guérilla jardinière (éd. Yves Michel, 2010, 274 p., 13,96 euros) et utilisateur régulier, accueille avec le sourire : "Ce sont des bombes très primitives ! Elles sont donc peu fiables."


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